Béatrice Libert 


Lectures libres


Aiguillier : arbre à aiguilles.

Dans le monde de la haute couture, c’est l’aiguillier qui produit les meilleurs talons-aiguilles.
Récemment, la célèbre manufacture Escarpin a révélé la provenance de ses hauts talons : L’aiguille du Midi. Leur hauteur peut atteindre des sommets vertigineux. Rares sont les fétichistes qui ont pu vaincre leur col.
Mais de belles érections sont annoncées sur le site www.eros.eu pour les soirs d’été à venir.

Arbracadabrants, préface d’Éric Brogniet, © Le Taillis Pré, 2021.

Allumettier : arbre à allumettes.

C’est dans l’allumettier que l’on taille les meilleures allumettes. Le problème avec cet arbre-là, c’est qu’il prend très vite feu. Dès lors, l’espèce est en voie d’extinction au profit du briquet, arbuste jetable, qui a tendance à vivre à ses dépens et à manquer de naturel.

Arbracadabrants, préface d’Éric Brogniet, © Le Taillis Pré, 2021.

Archetier : arbre à archets.

Maître de chorale, l’archetier a d’abord fait ses classes auprès des plus grands musiciens : Zéphyr, Aquilon, Rafale, Harmattan et autre Tramontane.
Tout comme Mozart, l’archetier débuta à l’âge de quatre ans, alors que du lait sourdait encore de ses timides bourgeons. Explorant tous les modes d’expression, il relança la musique pseudo-classique en frottant ses archets sur les ailes du vent, sur l’écorce de jeunes troncs, sur les tiges natives et les ramures adolescentes, suscitant rythmes inouïs, harmonies nouvelles.
Le succès fut immédiat : de toute la forêt enchantée affluèrent oiseaux, insectes et quadrupèdes à la recherche de sensations musicales inédites.
Ainsi commença la belle histoire des festivals d’été qui peuplent aujourd’hui les terres de France et de Navarre.

Arbracadabrants, préface d’Éric Brogniet, © Le Taillis Pré, 2021.

Ton visage est dans tes mots.
*
Dans l’herbe rouge, le pas de la question.
*
Désir noir : la nuit fond sur la langue.
*
Le chemin le plus court : le baiser.
*
Un songe me mordille l'épaule, et il a ta bouche.
*
La clef du poème ne loge pas dans la serrure de l’idée.
*
Matin sans agenda autre que celui de ton corps.
*
Afin d’encore songer à vous, j’ai fait un nœud dans ma nuit.
*
Le poisson de l’âme dans le bocal du jour froid.
*
On sort rajeuni de tous les musées du monde.
*
La nuit s’est tiré une balle dans mon sommeil.
*
Aux rides du temps, nous prêtons nos visages.
*
Chaque jour tu t’éveilles dans le doux nom de Wallonie.
*

Aphorismes extraits de La nuit porte jarretelles, © Cactus inébranlable, 2020

L’arbre connaît-il
Chacune de ses feuilles par son nom ?

A-t-il mémoire du circuit de sa sève
Jusqu’au plus humble rameau
Pendu au risque du vent ?

Sait-il le fruit sous la fleur
Le pétale dans le bourgeon ?

S’épuise-t-il à connaître tout cela
Ou préfère-t-il l’arbre

Ne rien penser
Ne rien vouloir

Et tendre vers lui-même
Indéfectiblement ?

Un arbre nous habite, photographies de Laurence Toussaint,
© L’Atelier du Grand Tétras, Mont-de-Laval, 2019.

S’élever par le chant
Comme l’arbre

Pour plus de lumière
Et d’entendement avec l’azur

Pour donner raison
Aux racines

De puiser loin
Dans l’enfance du sol

Un arbre nous habite, photographies de Laurence Toussaint,
© L’Atelier du Grand Tétras, Mont-de-Laval, 2019.

 

N’oublie pas dit l’arbre

Que tu es fait
Du même bois que moi

Que tu te chauffes
Aux mêmes rayons que moi

Que tu as pied
Dans le même terreau que moi

Ta lumière est mienne
Et mes semences courent tes chemins

Tu es plus arbre que tu ne penses

Chacun de tes rêves
Abrite une feuille et sa rosée

Un arbre nous habite, photographies de Laurence Toussaint,
© L’Atelier du Grand Tétras, Mont-de-Laval, 2019.

Que touches-tu ce soir
Que la lune inonde ?

Quel bord atteins-tu
Qui s’ouvre à ton regard
Comme une compassion ?

Quelle fête ouvre en secret
Ton ventre affamé de poèmes ?

Battre l’immense, © Corlevour, Clichy, 2018.

Dans l’heure qui sonne au carreau noir
Que trouverai-je pour traverser le jour ?

Une forêt d’oiseaux ?
Un chant pris dans la neige ?

Mes ailes y sont tombées
Et ma voix se perd
Dans la poussière des dimanches

Sur la route froissée
Je marche à l’invite de l’arbre
Qui dans l’obscur m’a reconnue

Battre l’immense, © Corlevour, Clichy, 2018.

Je relis tes poème

Ils éclairent nos jours fatigués
Lorsque la lampe choit
Sur l’ouvrage défait
Ou sur l’attente insupportable

Ils renouent le lien
À la poutre de la vie
Contre laquelle je m’appuie
Pour mieux t’attendre et repartir

Battre l’immense, © Corlevour, Clichy, 2018.

Chaque jour l’aube a le souffle
Des naissances essentielles
L’oiseau le sait
Il goûte ce ravissement

Ce qui vieillit sur la patience des fruits verts, anthologie, préface d’Yves Namur ; peintures de Francis Joiris, © Le Taillis Pré, Châtelineau, 2018.

Elle trace des mots
Sans ombre qui tiennent
Par la racine de l’angoisse

Elle écrit en trouvère
En femme qui trouve
Au-dedans au-delà
Ce qui nourrit

Le feu d'un bleu
Incommensurable

(L'écrivaine)

Ce qui vieillit sur la patience des fruits verts, anthologie, préface d’Yves Namur ; peintures de Francis Joiris, © Le Taillis Pré, Châtelineau, 2018.

La dernière rose de l’été
S’est entrouverte

Rose de silence

Et c’est le matin
Sans personne

Qui lui donne
Ton visage

Ce qui vieillit sur la patience des fruits verts, anthologie, préface d’Yves Namur ; peintures de Francis Joiris, © Le Taillis Pré, Châtelineau, 2018.

Un merle confie sa voix
Aux livres des lumières

Serait-ce en nous qu’il chante ?
Serait-ce en nous qu’il trace

La lisière du bonheur ?

Ce qui vieillit sur la patience des fruits verts, anthologie, préface d’Yves Namur; peintures de Francis Joiris, © Le Taillis Pré, Châtelineau, 2018.

Derrière le jardin
Il y a ― qu'on ne voit pas ―
Le même jardin
Où nous allons rêver
Mendier de la lumière
Aux fleurs qui parlent latin

Ce qui vieillit sur la patience des fruits verts, anthologie, préface d’Yves Namur ; peintures de Francis Joiris, © Le Taillis Pré, Châtelineau, 2018.

Quand je me réveille

Quand je cours la campagne
De pensées sans clôture

J’arrive à la lisière de ta nuit
Je frappe à son carreau

Et tu ouvres à l’insensée
Qui ne craint pas le vertige

Et qui se glisse sous ta plume
Pour t’aimer par tous les sens

Au seuil de l’ange, préface de Lionel Ray, © Vagamundo, Pont-Aven, 2017.

Avec ce poème commencé malgré tout

J’irai jusqu’au bout de ta fatigue
La recueillir dans mes vers

J’irai jusqu’au bord de ta maison
Où l’air entre partout sans frapper

Où le ciel prend le thé dans un dé à coudre
Où rien n’est jamais compté

Sauf les miracles et les poèmes

J’irai jusqu’à ta joie
Pour achever de l’écrire

Ce poème commencé malgré tout
Et m’endormir sur ses genoux de paille

Au seuil de l’ange, préface de Lionel Ray, © Vagamundo, Pont-Aven, 2017.

On passe sa vie à remuer des clefs
Qui n’ouvrent aucune porte

Le Dieu que tu cherches
Marche dans la rosée

Au fond du puits
Le jour se lève aussi

L’autre nudité
Celle du papillon
Quand la connaîtrai-je ?

Comme il dit oui
L’oiseau
Ouvrant les ailes !

Immobiles clartés
Nourries d’immobiles ombres
Un puits construit en nous
Sa ferveur verticale

Être dans l’instant
Comme l’oiseau
Dans son chant

Emprunter à l’oiseau
Sa part d’éternité
Pour que le poème tienne
Dans la main de l’enfant

Si la graine n’avait pas
Un grain de folie
Serait-elle semence ?

Cette part de feu
Qui vibre en toi
Ne la crains pas
  C'est d'elle que tu viens

Humeur de coquelicot
Marcher pour dire
Oui au réel

Extraits de L’aura du blanc, préface de Pierre Somville, dessins de Motoko Tachikawa, © Le Taillis Pré, Châtelineau, 2016.

Boire le jour dans le bol
Des apparences fragiles.
Compter les brins de clarté,
En faire des étoiles,
Des brasiers de silence.
Questionner la lumière
Jusqu’à ce qu’elle implose en nous,
Y lève des matins indociles.
Tendre son regard vers l’arbre,
Seul dieu à implorer
Lorsque nous guette la fatigue.

La route n’enfante que l’adieu, encres de Raphaël Ségura, © L’Atelier du Grand Tétras, Mont-de-Laval, 2014.

Comme une jument gitane
En qui flambe la lumière,
Le soir s’étrille à la poutre du jour.
Alors ne rien ôter
De ce qui fut dit,
Même à mots perdus.
Debout sur la pointe d’un mot
Déplier la phrase
D’un voyage immobile,
Reprendre pied dans l’inachevé.
Il n’y a pas d’heure pour entendre
En soi appeler un chemin.

La route n’enfante que l’adieu, encres de Raphaël Ségura, © L’Atelier du Grand Tétras, Mont-de-Laval, 2014.

Un jour, je rejoindrai
Le bleu, traverserai le noir,
Approcherai le jaune
Et, sans m’appesantir,
Me nourrirai du vert
Qui prend sa source
Dans la semence de l’envers.

La route n’enfante que l’adieu, encres de Raphaël Ségura, © L’Atelier du Grand Tétras, Mont-de-Laval, 2014.

Trafic

On vend
On vend
La terre
Le père
La mère
Et l’enfant nu
On vend Jésus Marie
Et les sept nains
On vend son rein
Pour trois fois rien
On vend des facs
Des fracs des sacs
En vrac on craque
On vend l’école
Et les actions sociales
On vend GB
On vend Cora
On nous lidellise
On nous delhaize
On nous carrefour
On nous dollardise
On nous europhilise
On nous pêche-à-la-ligne
On nous vol-à-main-gantée
On nous pile ou face
On nous pay&go freetime
On nous happy days
On nous tire-Bush-on
On nous humilie
On nous overdose
Butin planqué sous la banquise
Des autoroutes
Ci-gît morte pour la patrie
Une vache folle
Une poule d’eau grippée
Une brebis égagarée
Consultez le répertoire
Des pompes funèbres
Consultez le répertoire
Des pompes funèbres
On vend on vend
On vendredi samedi
Et même dimanche
On vend le siècle à tout vent
À tout va à toute vapeur
On vend la cuisse de Jupiler
On vend la cerise
Sur le gâteau de l’horreur
On vend le champion
Toute catégorie
E.P.O. En prime
On vend la déprime
On vend l’envie
On vend l’espoir
Et le blanc et le noir
On vend
On vend la terre
Le père la mère
Et l’enfant nu
On vend
On nous vend
On nous ment
On nous ment
On nous ment

Jamais en vain

À consommer de préférence avant la date indiquée au verso, (extraits), La Bafouille incontinente n° 39, avant-dire de Jean-Pierre Verheggen, éditions Boumboumtralala, Liège, 2015.

On voyage

On voyage
Cinq déserts testés pour nous
Lune de miel amère
Oublier son pied gauche
Lundi à London
Mardi à Marseille
Mercredi à Melbourne
Jeudi à Genève
Vendredi à Vancouver
Samedi à Zanzibar
Dimanche au Vatican

Embarquement pour
Supprimer la mention inutile
C’est ça la vie le grand culte
  Le club made in suivez le guide !
Plus qu’une île un pays
La république des pieds palmés
La cité des enviiiiiiiiiiiiiiiiies
Ah ! Le doux clapotis de l’eau du bidet !
Ah ! Le doux décor d’origine
De la décharge publique !
Tous les goûts sont chez Machin Tour
Et pour toi vieux campeur
À l’enseigne de l’aventure
Voici le souffle de Dieu lui-même
Mirage à visiter chaque week-end
En safari rodéo

Promotions ! Promotions !
On vous dessine l’infini

À consommer de préférence avant la date indiquée au verso, (extraits), La Bafouille incontinente n° 39, avant-dire de Jean-Pierre Verheggen, éditions Boumboumtralala, Liège, 2015.

Climat

Il neige en moi
obscurément.

La nuit prématurée
dessine son visage d’ange noir.

Entre mes paumes,
un secret aussi vieux que la vie.

D’un bord à l’autre,
j’écris comme un rameur sans rivage.

Le rameur sans rivage, La Différence, Paris, 1999

Aller-retour

Tu traverses la route.
Que vas-tu donc chercher de l'autre côté?
un froid moins froid?
Une assurance moins vaine?
Un gué plus court?

Tu ne trouves que toi-même,
un peu vieillie comme ton rêve d'enfant.
Tu te prends par la main,
te ramènes vers le seul
que tu viens de quitter
avec le goût souverain
dans l'arrière-bouche,
d'un ailleurs impossible,
d'un présent impalpable.

Le rameur sans rivage, La Différence, Paris, 1999

Hésitation

Ouvre dit-elle et la porte se ferme sur le cri du matin.

Parle dit-elle mais elle ne sait où poser les mots qui lèveront comme blés en ses paumes.

Puise dit-elle et ses mains sans secours cherchent à étreindre les pages à écrire les neiges oubliées les ciels sans escorte.

Va dit-elle et la route qui n'en finit pas de parcourir le monde allume un feu dans son regard.

Le rameur sans rivage, La Différence, Paris, 1999

Doublure

Chaque matin je me dis au revoir.

Je sors de moi et tourne la clef dans la serrure.

Celle qui s'en va, inquiète et lourde, n'a rien à voir avec celle qui reste, altière et sereine.

Au bout de longues heures, elles se retrouveront, n'auront rien à se dire, dîneront face à face, se coucheront côte à côte, avec si la mémoire est bonne et la main secourable, un poème entre elles deux.

Le rameur sans rivage, La Différence, Paris, 1999

Prière à la neige

Neige qui passez…
Neige qui neigez
de vos lents gestes légers,
racontez-nous le ciel
venu jusqu'à nos pieds.

Délivrez-nous du bruit,
des mensonges et des rides.

Candide, accordez-nous
votre page suprême
pour y conter nos vies.

Le rameur sans rivage, La Différence, Paris, 1999

Derrière

Derrière le jardin,
il y a - qu'on ne voit pas -
le même jardin
où nous allons rêver,
mendier de la lumière
aux fleurs qui parlent latin.

Le rameur sans rivage, La Différence, Paris, 1999

Jardin

Je partage le jardin
avec l'iris, la rose, l'érable,
la menthe, le genêt,
le magnolia et la rhubarbe.
Nous nous entendons bien,
bravons gels et forceps.
Nous portons fièrement
un pollen invisible
qui nous défend des barbaries.

Le rameur sans rivage, La Différence, Paris, 1999

Solitude

Elle glisse dans la solitude
Qui l’enserre de ses bras absents

Elle entend battre son sang
Qui remonte l’attente

D’un bonheur sans écharde

Inédit, © Béatrice Libert

Dédoublement

Elle marche à côté d’elle-même
Sur une route qui se dédouble

Dans une ville qui se partage
Entre hier et demain

Où donc aller se dit-elle
Pour trouver la parole
Sans précipice qui me réunira ?

Inédit, © Béatrice Libert

Promesse

Elle s’identifie dans un grain de sable
Celui qui peut faire pleurer
Enrayer la machine
Mais aussi briller dans la nuit
Avec toute l’histoire qu’il porte en lui

Elle berce la fin du jour
Comme si c’était un fils
Près à rendre le dernier souffle

Elle chante et s’immobilise le vent
Elle prie et s’apaise la soif
L’air alors délivre une promesse
Celle d’engendrer des jours sans leurre

Inédit, © Béatrice Libert

Ombres

Elle se plie sous les ombres
Qui entendra son chant marbré de soleil ?

Elle se tend vers l’oiseau
Qui recevra son geste de lumière ?

Elle se regarde tomber
Qui retiendra sa mobile clarté ?

Inédit, © Béatrice Libert

Devenir

Elle prend la terre à témoin
Que les draps de l’enfance
N’ont pas été lavés

Que s’empierrent les doutes
Et les paroles pauvres

Que rien n’a été fait
Pour rendre dignes
Les faux vivants que nous sommes

Et que l’inessentiel a fait
Main basse sur son devenir

Inédit, © Béatrice Libert